19 déc. 2024

Primes manifestement exagérées en matière d'assurance-vie : application stricte des critères par la Cour de cassation

19 déc. 2024

Primes manifestement exagérées en matière d'assurance-vie : application stricte des critères par la Cour de cassation

Petit rappel : Qu’est-ce qu’une prime manifestement exagérée ?

En droit français, l’article L. 132-13 du Code des assurances permet de rapporter à la succession certaines primes versées sur un contrat d’assurance-vie si elles sont jugées manifestement exagérées au regard des facultés économiques du souscripteur.

Cette notion vise à protéger les héritiers réservataires et à éviter qu’un souscripteur ne détourne indûment son patrimoine pour avantager un tiers, par exemple une association ou un ami, au détriment de ses enfants.

Critères principaux :

  1. Âge et état de santé du souscripteur : le contrat ne doit pas être un moyen de réaliser une donation déguisée.

  2. Facultés économiques du souscripteur : la prime doit rester compatible avec le train de vie et les charges courantes.

  3. Utilité du contrat : le contrat doit répondre à un besoin réel, par exemple permettre des rachats partiels pour compléter les revenus si nécessaire.

Ces critères sont appréciés au moment du versement de la prime, et non rétrospectivement.

Les faits de l’espèce

  • Une femme, âgée de 73 à 75 ans, décède et laisse une partie de son patrimoine à sa fille

  • À l’ouverture de la succession, sa fille découvre que plus de 75 % du patrimoine de sa mère a été versé sur un contrat d’assurance-vie dont le bénéficiaire était une association caritative (la Ligue contre le cancer)

  • La fille assigne l’association et demande la réintégration des primes versées, estimant qu’elles sont manifestement exagérées.

La cour d’appel de Metz accueille sa demande, malgré le constat que :

  • Les primes ne mettaient pas en péril le train de vie de la souscriptrice

  • Le contrat présentait une utilité réelle, avec possibilité de rachats partiels pour compléter les revenus.

La cour d’appel retient toutefois d’autres critères étrangers à la loi :

  • Concentration excessive du patrimoine sur un seul contrat

  • Conséquences sur la réserve héréditaire de la fille.

Ces critères étant non prévus par l’article L. 132-13, l’arrêt est cassé par la Cour de cassation.

La décision - Cour de cassation, 2e civ., 19 décembre 2024, n°23-19.110

La Cour de cassation rappelle que :

« Les primes versées sur un contrat d’assurance-vie ne peuvent être rapportées à la succession que si elles présentent un caractère manifestement exagéré, apprécié au moment du versement, au regard de l’âge, de la situation patrimoniale et familiale du souscripteur, ainsi que de l’utilité du contrat pour celui-ci. »

Ainsi :

  • Le fait d’exhéréder un héritier réservataire en versant des primes sur une assurance-vie ne suffit pas à qualifier ces primes de manifestement exagérées

  • Seuls les trois critères légaux (âge et santé, facultés économiques, utilité du contrat) doivent être pris en compte.

En l’espèce, les primes versées ne dépassaient pas les capacités financières de la souscriptrice et le contrat avait une utilité réelle. La décision de la cour d’appel est donc censurée.

Implications pratiques pour les justiciables et praticiens

  1. Héritiers et succession : Les enfants ou héritiers réservataires ne peuvent contester un contrat d’assurance-vie que si les primes sont manifestement exagérées selon les critères stricts de l’article L. 132-13

  2. Souscripteurs : L’assurance-vie reste un outil efficace pour transmettre un patrimoine à un tiers, même si cela réduit la part d’un héritier, tant que les conditions légales sont respectées

  3. Évaluation au moment du versement : Le juge apprécie la situation au jour du paiement des primes, et non en fonction de l’état de succession ou du patrimoine final

  4. Clarté juridique : Cet arrêt limite les interprétations subjectives et renforce la sécurité juridique des placements sur contrats d’assurance-vie.

En conclusion, l’arrêt du 19 décembre 2024 confirme que :

  • Les critères qualifiant des primes de manifestement exagérées sont limitatifs et précis

  • La Cour de cassation refuse d’étendre la notion pour sanctionner des choix patrimoniaux légitimes, même s’ils avantagent un tiers au détriment des héritiers

  • L’assurance-vie reste un outil puissant pour organiser sa succession, dans le respect de la loi et des héritiers réservataires.

Pour sécuriser vos placements et anticiper une succession, il est conseillé de consulter un avocat spécialisé en droit de la famille et en droit patrimonial afin de vérifier la conformité des versements et éviter tout risque de contestation.

Pour en savoir plus, cliquez ici.